Nous en rêvions depuis longtemps : participer au tour de Turquie à vélo organisé par Marcel Hendrickx, ancien routard autour du monde qui vit sa passion en organisant des séjours à vélo dans divers pays (Thaïlande, son pays d’attache, Vietnam, Birmanie, Laos, Bolivie, Indonésie, Turquie..). L’an dernier le nombre de participants était insuffisant. Cette année un groupe de 17 personnes s’est constitué. Mais un problème de taille se présente à nous : la guerre en Irak. Que faire ? Partir ? Ne pas partir ? D’un commun accord, nous décidons de partir. La Turquie est très étendue (1500 km d’est en ouest) et la frontière irakienne est très loin des régions que l’on doit visiter. De toute façon le Quai d’Orsay ne déconseille pas les voyages en Turquie.
C’est donc le 26 avril dernier que le groupe se retrouve à Orly Sud. Avec les vélos emballés il est facile de se repérer. Chacun connaît une ou deux personnes dans le groupe, et l’entente cordiale et générale se crée tout de suite au sein du groupe. La Turkish Airlines nous dépose à Izmir, où nous attendent Marcel, Nat son épouse thaïlandaise, et Michel leur fils de presque 10 ans. Nous atterrissons tard le soir, et n’avons que le temps et l’envie de retrouver l’hôtel pour aller dormir.
L’aventure ne commence donc que le lendemain matin. Izmir est une grande ville que nous quittons en bus. Quelques kilomètres plus loin, au bord de la route, les vélos sont déballés et remontés. Et nous voilà prêts à partir, à nous la Turquie !
Mais la Turquie c’est très étendu, nous ne pouvons pas tout voir. Il s’agit pour nous de découvrir la côte jusqu’à Antalya. Ensuite nous irons vers l’intérieur du pays à Konya, puis jusqu’en Cappadoce avant de revenir à Istanbul, où nous reprendrons l’avion dans 3 semaines.
Il fait beau et le ciel restera bleu toute la durée de notre séjour. Il fera même trop chaud parfois. Nous avons de la chance, car une semaine avant notre arrivée, il faisait encore frais, voire froid le soir.
Marcel nous a préparé un voyage très bien dosé : 6 jours de vélo, une journée de repos, 5 jours de vélo, transfert en bus vers Konya, 2 jours de vélo, 1 jour de visite, 2 jours de vélo, puis retour en bus vers Istanbul.
Comme tout pays montagneux en bord de mer, les paysages sont magnifiques, surtout quand la route est en corniche. Quelles sont belles ces petites criques à l’eau turquoise. Nos regards ne se lassent pas d’admirer d’un côté la mer de plus en plus belle chaque jour, de l’autre côté les montagnes enneigées. Mais qui dit montagnes dit montées (nous n’allons pas manquer de dénivelée :12000 m pour 1200 km parcourus !) et descentes, parfois grisantes.
Les routes sont asphaltées, mais avec du « gros grain », ce qui les rend très secouantes. Elles sont en bon état dans l’ensemble, malgré quelques trous par endroit. Elles sont moyennement fréquentées. Les conducteurs, que ce soit de voitures, de bus ou de camions, nous saluent d’un coup de klaxon amical quand ils nous doublent ou nous croisent. C’est sympathique, mais parfois agaçant quand ils attendent le dernier moment pour se manifester.
Les turcs sont des gens très accueillants. Dès qu’ils connaissent trois mots de français (de nombreux turcs sont venus travailler en France puis sont retournés dans leur pays) ils viennent nous parler. Nombreux également sont ceux qui sont allés en Allemagne et il nous arrive d’être abordés en allemand. Partout les enfants nous saluent, viennent nous serrer la main ou même nous offrir quelques chips. Jeunes ou vieux, les turcs aiment se faire photographier, et posent volontiers dès que l’on désire prendre un cliché.
Nous avons été hébergés dans des hôtels de classe moyenne (équivalent à 2 étoiles en France), quelquefois dans des pensions de famille. Le confort a toujours été satisfaisant, avec tout de même quelques problèmes d’eau chaude parfois. Il faut savoir que l’eau est stockée dans un réservoir sur le toit des maisons et chauffée par un panneau solaire. Si tout le monde prend sa douche en même temps, la pression peut être nulle, et il devient difficile de se laver, et le dernier risque de se rincer à l’eau froide ! Certains de ces établissements étaient dotés d’une piscine, et comme nous étions les seuls clients, ces moments de détente à l’arrivée étaient un véritable plaisir. Boire un jus d’oranges pressées ou une bière au bord de la piscine, quel luxe !
La côte est très fréquentée par les touristes (cette année ils ne sont pas encore au rendez-vous). Certaines stations balnéaires sont gâchées par de grands ensembles touristiques construits récemment ou en cours de construction. C’est dommage, mais on connaît cela ailleurs…
On ne peut pas aller en Turquie et ne pas s’intéresser à l’histoire de ce pays, qui est un peu à l’origine de nos civilisations. Le plus vieil anatolien dont on a retrouvé des restes serait âgé de 150 000 ans. C’est au 19ème siècle avant J.C. que les Hittites s’établissent en Anatolie, mais c’est surtout la période grecque (à partir du 9ème siècle av. J.C.) qui a marqué l’ouest de la Turquie, et notamment la côte égéenne. Il faut prendre le temps, et Marcel nous laisse le temps, de visiter les sites importants : Ephèse, ville qui a compté jusqu’à 250000 habitants, Milet et son grand théâtre, Priène et le temple d’Athéna, Dydimes et le colossal temple d’Appolon qui, s’il avait été achevé, aurait été une des sept merveilles du monde…. Les romains, les byzantins, les ottomans…. Ils sont tous passés par là. Et les tombeaux lyciens à Dalyan, sculptés dans la falaise à plusieurs dizaines de mètres de hauteur… et la vieille ville d’Antalya avec ses anciennes maisons byzantines rénovées à l’identique, et son ancien petit port protégé par ses remparts et ses bains turcs du 14ème siècle… où l’on est massé au gant de crin, puis massé à l’huile, puis massé à la mousse…
La Turquie est maintenant (depuis 1923) une république laïque, grâce à Mustapha Kemal (Attaturk). La religion la plus répandue est la religion musulmane, mais les turcs sont des musulmans modérés. On voit très peu de femmes voilées en Turquie, sauf à Konya qui est plus conservatrice.
D’ailleurs tout change quand on arrive en Anatolie centrale. Le relief s’aplatit, et pourtant nous sommes à 1000 m d’altitude. Les kilomètres sont plus faciles à parcourir pour les cyclos que nous sommes : de longues lignes droites, plates, des cultures de céréales, des troupeaux de moutons ou de vaches. Quelques petits villages aux maisons basses sont éparpillés sur ce plateau. Peu de végétation. Le climat est rude ici l’hiver. Nous avons de la chance, il fait encore beau, ce qui n’est pas obligatoire à cette saison.
Au fond on aperçoit des sommets enneigés. Ce sont les volcans qui sont à l’origine de la Cappadoce, en y déposant une couche de tuf puis par-dessus de la lave qui a durci. Il y a bien sûr de très nombreuses années de cela. Le temps a passé, l’érosion a fait son travail, et les cheminées de fées sont apparues.
Ah ! la Cappadoce ! Quel spectacle ! La cerise sur le gâteau !
Il n’y a plus ici de théâtre grec ou autre vieille pierre à visiter, mais la nature cache de véritables trésors :
- par exemple, la vallée d’Ihlara, faille de 14 km de long et 100 m de profondeur, creusée par la rivière qui se trouve au fond, insoupçonnable depuis le plateau. Les chrétiens, chassés par les arabes des pays environnants, sont venus, à partir du 7ème siècle, se réfugier dans cette vallée. Ils y ont creusé dans les falaises leurs habitations et de très belles églises décorées de fresques encore bien visibles.
- ou bien des villes souterraines qui peuvent avoir jusqu’à 15 étages. Du 6ème au 10ème siècle les habitants, pour se mettre à l’abri des envahisseurs, ont creusé le sol pour y installer de véritables villes bien organisées avec système d’aération, école, église, dans lesquelles ils pouvaient vivre plusieurs mois dans un isolement total.
- et pour finir en beauté ce voyage à vélo, nous avons fait le tour de la Cappadoce centrale, là où se trouvent ces paysages plus époustouflants les uns que les autres. La nature a sculpté des cheminées de fées de toutes tailles, de toutes formes, de toutes couleurs. C’est indescriptible ! Il faut le voir. Et tout a été habité un jour, tout est creusé, c’est incroyable ! Le tour n’est pas long : 37 km à vélo, mais il nous a fallu trois heures pour les parcourir, tellement nous nous sommes arrêtés souvent pour admirer le paysage. Et l’après-midi, nous sommes allés faire une balade dans une vallée inaccessible autrement qu’à pied où nous avons encore vu d’autres formes et d’autres couleurs. D’ailleurs nous avons perdu notre chemin et ne savions plus nous diriger parmi toutes ces merveilles. Nous en sommes sortis grâce à un monsieur turc qui cultivait son tout petit lopin de terre et qui nous a montré le passage : un petit tunnel (de la taille d’un homme) creusé dans la roche qui permettait de passer d’un côté à l’autre de la montagne.
Notre séjour s’est terminé par une visite rapide d’Istanbul et une balade en bateau sur le Bosphore jusqu’à la mer Noire. Mais Istanbul est une grande ville, très animée, aux rues très encombrées d’automobiles, que personnellement je pense ne pas avoir su apprécier à sa juste valeur après cette magnifique nature que nous venions de quitter.
La Turquie, ce n’est pas que cela.
C’est mille autres choses : les champs d’oliviers, les forêts de pins,
les milliers de serres de cultures maraîchères, les orangeraies,
les coquelicots pourpres, les femmes tissant à la main d’innombrables
tapis, les très nombreuses mosquées, l’appel à la prière
cinq fois par jour, les fumeurs de narguilés, etc…etc…